De la naissance à l’ascension au pouvoir de l’AKP en Turquie
A l’heure de la crise syrienne, un acteur de la société internationale a particulièrement fait parler de lui du fait de son positionnement et de ses choix stratégique : la Turquie. Ce pays est actuellement étroitement associé à son dirigeant Recep Tayyip Erdogan et son parti politique l’AKP dont il convient de revenir sur son ascension.
Le parti AKP est le fruit d’une lente évolution de la mouvance du Milli Görüs (vision nationale), créée par Necmettin Erbakan, s’opposant au kémalisme qui a longtemps dominé en Turquie. Elle s’y oppose principalement au niveau de la lecture de l’histoire en voulant allier Islam et modernité ainsi que sur le plan diplomatique puisqu’elle défend un rapprochement avec les pays musulmans plutôt qu’un engagement atlantique et au projet européen. En 1980, le parti d’Erbakan est dissout et se reforme en 1983 sous le nom du parti de la prospérité « Refah ». Ce dernier remporte plusieurs élections comme en 1994 aux municipales où Recep Tayyip Erdogan devient notamment maire d’Istanbul et un an après les élections législative où Erbakan devient Premier Ministre. Toutefois, en février 1997 l’armée intervient pour la 4ème fois depuis la fin de la période kémaliste et impose un ultimatum au gouvernement d’Erbakan en demandant notamment le contrôle par l’Etat des écoles d’obédience confrériques, la continuité de l’enseignement public sur une période continue de 8 ans et l’application des lois régulant les tenues vestimentaires. Cette intervention de la part des militaires précipite la démission de Necmettin Erbakan et son parti politique est alors dissout. En 1998 un nouveau parti est créé : Fazilet (le parti de la vertu) mais deux courants s’affrontent en son sein : les traditionnalistes, dirigé par Recai Kutan, qui restent fidèle au credo de Necmettin Erbakan c’est à dire la volonté de se rapprocher des peuples musulmans, de remettre en cause les alliances occidentales et d’islamiser l’Etat turc. Le deuxième courant est le courant moderniste dirigé par Abdullah Gül et Recep Tayyip Erdoğan. Ces derniers opèrent des déplacements idéologiques fondamentaux : rejet du discours opposant Orient et Occident, pas de volonté d’affirmer la dimension islamique comme élément déterminant de l’identité turque mais simplement de laisser la possibilité aux pratiques religieuses de s’exprimer dans la société, la tentative de redéfinir la laïcité turque en passant d’une laïcité offensive (assertive secularism) à une laïcité conçue comme simple neutralité de l’Etat en matière religieuse, à l’anglo-saxonne (passive secularism). Dans un premier temps, il s’agit du courant traditionnaliste qui remporte le congrès de mai 2000.
La création de l’AKP : mai 2001
En 2001 la Cour Constitutionnelle dissout le parti Fazilet et donc deux nouveaux partis se forment : les traditionnalistes, menés par Recai Kutan créent le Parti de la félicité ou Saadet Partisi (SP) et les modernistes, dirigés par Abdullah Gül et Recep Tayyip Erdoğan créent le Parti de la Justice et du Développement ou Adalet ve Kalkınma Partisi (AKP). L’année suivante, en 2002, le parti AKP gagne ses premières élections législatives amenant Abdullah Gül au poste de Premier Ministre. Le succès de l’AKP peut s’expliquer par plusieurs raisons : le discrédit des autres formations politiques avec la multiplication des affaires de scandales et de corruptions comme celui de Susurluk ainsi que l’incapacité des autres partis à gérer le tremblement de terre de 1999 dans la région de Marmara (20 000 morts) puis la crise financière de 2000 qui a lieu en Turquie. Ainsi, l’AKP est au pouvoir de 2002 avec dans un premier temps le gouvernement d’Abdullah Gül (2002-2003) puis ensuite Recep Tayyip Erdoğan qui a été 11 ans Premier ministre (2003 à 2014) et Président depuis 2014. Les résultats de l’AKP aux élections sont même impressionnants : 35% en 2002, 47% en 2007, 49,7% en 2011, 41% en juin 2015 et 49,5% le 1er novembre 2015. Cette suprématie s’explique bien sûr par l’efficacité des réseaux liés à l’AKP, son bilan économique favorable, mais aussi par l’habileté politique et le charisme de son leader.